Skirnismal

Le Skirnismal (ou Périple de Skirnir) est évoqué dans le Codex Regius apparaissant sous ce titre.
Cette balade en porte bien le nom car elle dénote des autres textes par son style poétique en prose à l’instar de l’introduction du Lai de Grimnir. La dramaturgie et le style du texte le rapprochent de celui du Thrymskvitha.
Ce texte est donc également daté comme le Codex de la première moitié du Xe siècle mais à contrario de beaucoup d’autres il semble parfaitement avoir traversé les siècles sans déformations majeures.

Table of Contents

Le texte

Frey, le fils de Njord, s’asseyant un jour sur le trône d'Hlithsjoklf, posa son regard sur les Neuf Mondes. S’attardant sur Jotunheim, il remarqua une Vierge d’une grande beauté alors qu’elle sortait de la Halle de son père pour rejoindre sa tonnelle ( ?). Aussitôt il tomba éperdument amoureux à s’en rendre malade.

Skirnir était alors le nom de l’homme de main de Frey.
Njord, chagriné par l’humeur de son fils, fit convoquer Skirnir pour le questionner.
Ainsi fait, Njord lui dit
:

1
Pars maintenant Skirnir ! Va chercher et vaincre le silence
Des paroles que tait mon fils ;
Et rapporte cette victoire sur les graves maux
Affectant pourtant sa haute sagesse.

2 (Skirnir parle)
De sinistres réponses je pense n’attendre
Que du silence rompu des paroles de votre fils ;
Et d’une triste victoire sur les graves maux
Affectant sa noble et haute sagesse.

3 (De retour prés de Frey, Skirnir l'interroge)
Parlez-moi, Frey, vous le plus noble des Dieux,
Maintenant que je demande ardemment des réponses ;
Pourquoi êtes vous assis dans ces vastes murs,
Ainsi seul depuis de longs jours mon Prince ?

4 (Frey répond)
Comment pourrais-je te dire, à toi jeune héros,
A quel point grande est ma peine ?
Jamais un jour ne s’éteint quand s’estompe l’Elfe-Rayonnant
Sans que mon désir n’en soit plus ardent.

5 (Skirnir compatissant)
Ces désirs, je pense, ne peuvent être si ardents
Que vous ne puissiez me les narrer ;
Autrefois, à nos premiers jours, nous étions déjà ensemble,
Nous avons une profonde confiance l’un à l’autre.

6 (Frey le regard lointain)*
Sortant de la Halle de Gymir j’y ai vu alors
Une Vierge m’étant désormais très précieuse ;
Ses bras scintillaient et par leurs éclats
Illuminaient le ciel et la mer.

7 (Frey poursuit)
Jamais aussi précieuse depuis l’aube des jours
Une Vierge n’aura été pour un Homme ;
Mais aucun Dieu ou Elfe ne permettront
De nous voir capable d’être réunis ensemble.

8 (Skirnir décidé)*
Alors donnez-moi un cheval qui traversera les ténèbres
Et les vacillantes flammes enchantées ;
Mais aussi bien l’épée qui combat d’elle-même
Contre les sinistres Géants.

9 (Frey rassuré)
Je te donnerai le cheval qui traverse les ténèbres
Et les vacillantes flammes enchantées ;
Ainsi que l’épée qui combat d’elle-même
Si elle est brandie par un digne héros.

10 (Skirnir parle au cheval)*
L’obscurité règne au-dehors et j’ai peu de temps
Pour parcourir les landes sauvages,
(Pour glisser entre les imposants Géants)
Nous reviendrons tous les deux ou tous les deux
Le terrible Géant nous emportera ensemble.

Skirmir chevauche les landes de Jotunheim jusqu’à la Halle de Gymir. Il aperçoit alors des féroces molosses devant la grille ouvrant sur l’enceinte de la demeure de sa fille. Il retourne alors auprès d’un berger qu’il avait vu assis au haut d’une colline et lui adresse la parole :

11
Dis-moi le berger, ainsi assis sur la colline
Et scrutant tous les chemins alentours ;
Comment puis-je porter un message à la Vierge
En évitant les molosses de Gymir ?

12 (Le Berger répond)
Est-tu destiné à mourir ou déjà mort,
Toi le cavalier chevauchant par ici ?
Empêché vous serez à jamais de parler
A la bonne fille de Gymir.

13 (Skirnir relève le défi)
Le courage est préférable que les gémissements
A celui dont les pas le portent sur sa voie ;
Le jour menant à ma destinée a déjà été scellé
Et l’étendue de ma vie elle-aussi décrétée.

Laissant la discussion entre Skirnir et le Berger, l’attention se porte sur la fille de Bylmir.

14 (La fille de Gymir)
Quel bruit peut-être tellement sourd que je puisse
L'entendre jusqu'au travers de notre Halle ?
Le sol tremble et la demeure de Gymir,
Elle aussi, branle de toute part.

15 (La Dame de compagnie lui répond)*
Dame Gerth, un étranger vient de sauter de son coursier là au-dehors,
Laissant ce cheval détaché et libre d'aller sur l'herbe.

16 (Gerth réagit)*
Offrez l'accueil à cet homme et à boire le meilleur des Hydromels,
Ici même dans notre Halle ;
Je crains cependant que là, au-dehors, ne se tienne
L'assassin de mon frère !

17 (Gerth poursuit)
Etes-vous parent des Elfes ou un enfant des Dieux,
Ou bien encore l'un des Sages Vanes ?
Comment avez-vous pu seul, au travers les flammes jaillissantes,
Venir jusqu'au seuil de notre Halle ?

18 (Skirnir parle)
Je ne suis pas parent des Elfes, pas l'enfant des Dieux
Ni plus celui des Sages Vanes ;
Bien que je sois seul, au travers des flammes jaillissantes,
Venu jusqu'au seuil de votre Halle.

19 (Skirnir poursuit)
Onze pommes, toutes d'or,
Je vous fais ici offrande, Gerth,
Pour gagner vos faveurs et qu'ainsi Frey
Soit pour vous considéré avec tendresse.

20 (Gerth farouche)
Jamais je ne prendrai ces onze pommes
Quel que soit l'homme le souhaitant ;
Pas plus que Frey et moi ne partageront une Halle commune
Aussi longtemps que nous vivrons !

21 (Skirnir de nouveau)*
Soit, j'ai apporté également l'Anneau qui fut jeté
Sur le bûcher du fils défunt d'Odin ;
De lui tombe huit anneaux de tailles et poids égales
Toutes les neuf nuits.

22 (Gerth ironique)
Je ne désire pas non plus l'Anneau, bien qu'il fût jeté
Sur le bûcher du fils défunt d'Odin ;
La Halle de Gymir ne manque d'aucun or
Pour que mon père n'ait bonne Fortune !

23 (Skirnir agacé)
Soit Damoiselle, voyez donc alors cette épée vive et lumineuse
Que je brandie dans ma main ?
Et bien le cou de votre tête j'entaillerai sur le champ
Si vous déclinez mes volontés !

24 (Gerth se révolte)
Jamais par la volonté d'aucun homme, je ne souffrirai ainsi
D'être soumis par la force ;
Mais je pense, bien heureusement, que Gymir cherchera
Le combat s'il vous trouve ici !

25 (Skirnir passe à l'action))
Soit Damoiselle, voyez donc alors cette épée vive et lumineuse
Que je brandie dans ma main ?
Avant que le vieux Géant courbaturé ne dresse sa lame,
Votre père sera déjà condamné à mourir !

26 (Skirnir exaspéré prononce alors un long Galdr de malédiction)
Soyez frappée jeune Vierge de mon bâton enchanté
Qui vous fera plier à ma volonté ;
Il vous mènera là où jamais encore
Les fils des Hommes n'ont pu aller.

27 (Encore Skirnir)*
Sur la colline de l'Aigle vous serez à jamais juché,
Regardant fixement les sombres grilles de Hel ;
Plus dégoûtant encore sera la vision du Serpent-Luminescent
S'avançant là-bas faire des Hommes son repas !

28 (Skirnir davantage menaçant)
Votre regard toujours plus prés et votre terreur accrue,
Hrimnir se dressera vous épiant à son tour ;
(Les Hommes s'en étonneront alors)
Plus légendaire encore vous serez que le Gardien des Dieux !
Dédoublez-vous alors par l’entrebâillement de cette prison.

29 (Skirnir furieux)*
Rage et vif désir, chaînes et colère,
Larmes et tourments sont désormais vôtre ;
Alors ployez sous mon mauvais sortilège
Frappant d’une double peine votre cœur.

30 (Skirnir sournois)
Ainsi adviendra chaque jour le mal dans la demeure des Géants,
L’avilissement en toutes choses et le maléfice sur les pactes ;
La peine vous aurez mis en lieu de la joie,
Et la douleur aux larmes de souffrances.

31 (Skirnir n’en a pas fini)
Avec les Géants à trois têtes vous demeurerez pour toujours
Là où vous ne rencontrerez jamais d’époux ;
(Laissant votre désir dépérir, laissant au rebut cette perte)
Devenant comme un chardon alors mis au grenier
Puis abandonné et enfin s'écrasant en lambeaux !

32 (Skirnir pensif)
Ainsi je suis parti dans les bois d’une forêt humide
Pour trouver un bâton enchanté ;
Celui-là même, pour vous faire plier à ma volonté,
Dont j'ai fini par réussir à trouver.

33 (Skirnir élevant la voix)
La colère d’Odin grandie et le plus grand des Dieux est irrité ;
Frey lui-même deviendra votre ennemi,
Dame maléfique, celle ayant invoquée la colère céleste,
Les Dieux portant alors leur haine sur vous !

34 (Skirnir levant les yeux)*
Donnez-moi votre attention Seigneurs des Glaces, entendez ceci Géants,
Fils de Suttung,
Mais aussi vous les Dieux,
Comment j'interdis et comment j'empêche
Les rencontres des Homme d'avec la Vierge.
(La joie des Hommes d'avec la Vierge)

35 (Skirnir en revient à Gerth)*
Hrimgrimnir sera là, le Géant qui vous prendra
Dans les profondeurs par les portes de Hel ;
De la halle des Thurses, chaque jour, il vous tourmentera
Et vous ramperez alors l'implorant en vain,
Vous ramperez encore sans nul espoir.

36 (Skirnir prophétique)
Jamais de délicieux breuvages tu ne trouveras
Car tout est misérable là-bas sous les racines de l'arbre,
Seules s'y trouvant trois cornes à boires remplies d'immondices ;
Aucun de vos souhaits n'y sera exaucé, jeune Vierge.
(Seuls les miens le seront, jeune Vierge)

37 (L'incantation maudite de Skirnir prend fin)*
Ainsi j'ai psalmodié trois charmes et gravé trois Runes pour les incarner :
Désir, folie et convoitise ;
Mais ce que j'ai invoqué, je peux l'abjurer,
Si la raison l'emporte sur cette requête !

38 (Gerth convaincue)
Elle sera plutôt la bienvenue, et à cet égard
Engageons-là par la corne de froid remplie de l'Hydromel sacré ;
Je n'aurai jamais pu pensé être ainsi l'objet d'un tel désir
Par l'amour ardent d'un Dieu Vane.

39 (Skirnir satisfait)
Toutes ces décisions je doit fidèlement rapporter
Chevauchant jusqu'à mon retour à demeure ;
Où se passera votre rencontre avec le Noble fils
De Njord et quand au plus tôt ?

40 (Gerth répond)*
A Barri, une forêt merveilleuse et paisible,
Nous apprendrons à mieux nous connaître tous les deux.
Et alors, après neuf nuits, au fils de Njord,
Seront offert les vœux de plaisir de Gerth.

Alors Skirnir s'en retourna chevaucher à demeure. Frey s'y tenait au-dehors, et aussitôt s'enquit de lui demander les décisions prises.

41
Raconte moi Skirnir avant de descendre de selle
Ou d'aller plus avant à pieds ;
Qu'à tu pu faire dans la demeure des Géants
Pour me rendre ainsi si heureux ou alors tant désespéré ?

42 (Skirnir rassurant)
A Barri, une forêt merveilleuse et paisible,
Vous permettra de mieux vous connaître tous les deux ;
Et alors, après neuf nuits, au fils de Njord,
Seront offert les vœux de plaisir de Gerth.

43 (Frey impatient mais heureux)*
Longue est une nuit, plus longues encore en sont deux ;
Comment en supporterais-je neuf ?
Il me semble déjà qu'un mois entier sera tout aussi long,
Ne serait-ce que d'une moitié de nuit, à attendre de satisfaire ce désir…

Annexes

6* : Gymir était un Géant des montagnes, mari d'Aurbotha et le père de Gerth, la plus altière de toutes les femmes selon Snorri.
8* : L'épée de Frey qu'il donne à Skirnir le condamnera au Ragnarök, alors désarmé face à Surt, le Démon du Feu… A noter que cette épée capable de se battre seule n'a aucun nom reconnu !
10* : La ligne 3 est incertaine.
15* : Cette strophe est suggete à caution car elle semble incomplète ou perdue…
16* : La référence à “l'assassin de mon frère“ renvoie certainement au fait que Frey tuera au Ragnarök Beli à mains nues et que Skirnir est associé au Dieu.
21* : L'Anneau est celui d'Odin, Draupnir. A noter qu'il est certainement l'Anneau unique d'Advarinaut et que nulles mentions n'aient faite sur la manière dont Frey l'a eu en sa possession pour le remettre à Skirnir !
27* : “La colline de l'Aigle“ est bien sûr le lieu où est l'aire de Hræsvelg à Helheim.
29* : Cette strophe est souvent présentée de façon assez obscure.
34* : Il reste difficile à traduire cette strophe car elle a été largement altérée et peu de lignes sont fiables.
35* : Hrimgrimnir (Enveloppé-de-Gel ?) est un Géant seulement mentionné dans ce texte.
37* : On note ici que chaque Rune du Futhark à en son symbole l'incarnation d'un charme.
40* : Barri (Feuillue).
43* : Cette strophe de fin est parfois altérée et seulement complétée par Snorri…

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