Sigrdrifumal

Le prétendu Sigrdrifumal, « La Ballade de la Porteuse-de-Victoire », suit le Fafnismal, sans transition, dans le Codex Regius, ni même de titre séparé.
Il est assurément le plus chaotique des textes Eddiques ! La dernière partie du poème a été entièrement perdue et l’ajout des huit strophes le concluant ont connu des versions bien différentes sans qu’une réelle fin ne s’en dégage.

Présentation du texte

La difficulté de donner un sens cohérent au texte est telle que même le titre de Sigrdrifumal est maladroit.
En effet on trouve Sigrdrifa en place de Brynhild, « la Porteuse-de-Victoire », qui est ici traduit en sous-titre pour bien faire acte de ce fait. Il a fallu patienter jusqu’à trouver les fragments de plusieurs textes distincts pour tenter de donner une suite logique à ce poème.
On peut ainsi considérer qu’on a ici la base de ce qui donna la légende de Sigurd-Brynhild qui a ensuite été enrichi des fragments plus ou moins en rapport avec les fables nordiques.
Ainsi ce texte est important pour la naissance de cette fabuleuse aventure amoureuse et dramatique mais doit être considéré avec distance et prudence quant à sa réelle origine et construction finale…

Le texte

Sigurd, au commencement de cette histoire, chevauchait sur les hautes pentes d'Hindarfjoll mais tourna brusquement au Sud en direction de la terre des Francs.
Arrivé au haut des montagnes il aperçut une grande lumière comme si un feu brûlait, la lueur semblant atteindre les cieux même ! Alors, une fois parvenu à sa source, il se tint devant une véritable tour de boucliers où était dressé dessus une bannière !
Sigurd pénétra alors à l'intérieur de la tour de bouclier et vit qu'un homme y était étendu, endormi et entouré de toutes ses armes de combat. D'abord il souleva l'heaume de sa tête et alors s'aperçut qu'il s'agissait en fait d'une femme. Son armure de mailles était si ajustée qu'elle semblait être née avec sa chair même ! Il trancha pourtant l'armure de la base du cou jusqu'aux ouvertures des bras. Ôtant ensuite le reste de la cotte de mailles, elle finit par se réveiller, se redressa, vit Sigurd puis dit
:

1
Qui donc a découpé au travers de ma cotte de mailles ? Comment a été brisé mon sommeil ?
Qui m'a ainsi libéré des chaînes d'envoûtements ?

Sigurd répondant :
Le fils de Sigmund par l'épée de Sigurd
Qui, bien avant, a beaucoup nourri de chair les corbeaux !

Sigurd s’assit ensuite face à elle et se présenta ainsi comme le détenteur de cette épée. Elle prit alors une corne d’hydromel puis lui offrit ce breuvage enchanté par l’eau de Mimir.

2
Salut au Jour ! Salut, fils du Jour !
A la Nuit et à sa fille maintenant !
Veillez-nous de votre regard aimant
Jusqu’à nous accorder la Fortune de la victoire.

3
Salut aux Dieux ! Aux Déesses le Salut
Et à tous les dons de la Terre !
Donnez-nous sagesse et verbe éclairé,
Mains guérisseuses et longue vie.

4
Longtemps j’ai été endormi, mon assoupissement sans fin,
Et bien long furent alors les tourments de mon existence ;
Ainsi Odin décréta que je ne pourrais pas briser
Les puissants envoûtements de sommeil !

Elle confia alors son nom, Sigrdrifa, et qu’elle était une Valkyrja. Elle parla de deux Rois s’étant affronté au combat ; l’un était nommé Hjalmgunnar, un vieil homme mais très puissant au combat, auquel Odin lui avait promis la victoire ; l’autre était Agnar, frère d’Autha, qui lui ne trouva nul pour l’accompagner de son bouclier !
Pourtant c’est bien Hjalmgunnar que Sigrdrifa tua dans la bataille ! Pour ce méfait, Odin l’a piqua avec une épine de sommeil et l’a puni également en la privant à l’avenir de toute victoire en combat où, qui plus est, elle serait alors blessée !
Alors elle lui répondit à son tour qu’elle venait de faire un vœu et qu’aucun homme ne pourrait la marier s’il connaissait la signification de la peur ! Sigurd désira en savoir plus et lui demanda qu’elle lui enseigne sa sagesse, si elle connaissait bien sûr tout des mondes.
Alors Sigrdrifa lui répondit
:

5*
La bière je t’ai apporté, arbre de bataille,
Mêlée à la force et à la gloire légendaire ;
Les envoûtements je t’apporterai avec et les signes de guérisons,
Avec, les puissants sortilèges de bienveillance et, enfin, les Runes sacrées :

6*
Les Runes de la victoire vous devrez apprendre, si pendant longtemps vous désirez vaincre,
Et les Runes à graver sur le pommeau de votre épée ;
D’autres pour le fourreau et encore d’autres pour le plat de la lame,
Alors enfin vous invoquerez deux fois Tyr !

7*
Les Runes de la bière vous devrez apprendre, celles dont l’épouse mensongère
Ou les autres trahisons seront alors déjouées ;
Sur la corne il vous faudra les graver ainsi que sur le dos de vos mains
Et marquer ensuite Nyd sur vos ongles.
Ainsi vous bénirez la mousse de la bière, les dangers évités
Et tremperez un poireau dans la coupe !
(Ainsi par ce que je vous ai enseigné, vous n’aurez jamais à voir
Votre hydromel brassé par quelques mélanges maléfiques.)

8
Les Runes de la naissance vous devrez apprendre, si de l’aide vous avez à délivrer,
Pour aider une mère à enfanter son bébé ;
Sur vos paumes vous devrez les marquer, et les joindre en un cercle,
Puis demander au Destin d’être clément !

9*
Les Runes des vagues vous devrez apprendre si d’une belle anse vous désirez
Pour mettre à l’abri les Coursiers-des-Voiles de la Mer ;
Sur le mât vous devrez les graver, sur la barre du gouvernail
Et les pyrograver sur les avirons ;
Bien que soient hauts les brisants et sombres les vagues
Vous trouverez alors un port pour vous rendre sauf !

10*
Les Runes des écorces vous devrez apprendre, si d’une guérison vous avez besoin
Et d’un onguent pour soigner vos blessures ;
Sur l’écorce vous devrez les graver mais sur des arbres
Dont les branches tendent à l’est !

11
Les Runes du verbe vous devrez apprendre de sorte que nul ne pourra trouver
Malédictions à vous rendre par haine ;
De la source elles ont été murmurées, d’une toile elles ont été tissées
Et chacune devront être placé l’une à côté de l’autre :
Alors, au Thing, quand la justice sera mandée,
Le peuple aura gain de cause !

12*
Les Runes de l’esprit vous devrez apprendre si de toutes les pensées des hommes
Vous désirez en connaître les plus sages !

13
Hropt les modela, il les traça
Ils les définit à son esprit ;
Toutes issues hors de la source de laquelle il les extirpa
Par la tête de Heithdraupnir*
Et la corne de Hoddrofnir.*

14
Sur une montagne il se dressa alors avec l’épée de Brimir,
Un heaume lui recouvrant la tête ;
Et ainsi, pour la première fois, parla la momie Mim*
Tenant là des paroles de grande sagesse et de vérité :

15
Il parla des Runes gravées sur un bouclier, avant même la brillante Déesse,
Sur celles des oreilles d’Arvak, sur les sabots d’Alsvith,
Sur les roues du char du tueur de Hrungnir,
Sur les dents de Sleipnir et des rênes d’un traîneau.

16
Sur les pattes d’un ours et sur la langue de Bragi,
Sur les griffes tranchantes d’un loup et sur le bec d’un aigle,
Sur des ailes sanglantes et la fin d’un pont,
Sur des mains de délivrance et sur les pieds menant au havre !

17
Sur le verre, l’or et ceux des Galdrs enchantés,
Sur celles du vin, de la bière et des lieux des sources aimés,
Sur la pointe de Gungnir et sur le poitrail de Grani,
Sur les ongles des Nornes et sur le bec du hibou de nuit.

18
Toutes les Runes furent ainsi ointes et gravées voilà fort longtemps
Puis brassées avec l’hydromel le plus sacré
Et alors offerts par bien des voies lointaines ;
Alors les Dieux les reçurent, les Elfes les détinrent,
Les vieux et sages Vanes les obtinrent également
Et d’autres encore parvinrent jusqu’au Hommes mortels !

19
Elles sont les Runes de l’hêtre, elles sont les Runes de la genèse,
Et toutes le sont de l’ale :
Les Runes sont toutes d’une puissance enchantée !
Qui les connaît profondément et lis justement leur sens,
Celui-là les aura comme aide bienveillante :
A jamais elles lui seront clémentes
Jusqu’à ce que les Dieux meurent…

… ainsi s’achevait cette longue histoire décousue que la belle Brynhild venait de narrer… mais elle même n’en avait pas fini !

20*
Maintenant il vous faudra opter pour l’un des choix s’offrant à vous,
Vous, l’arbre à la lame mordante !
Parlez ou gardez le silence mais dites qui de l’un ou de l’autre :
Notre malheureux destin sera alors partagé !

21 (Sigurd vaillant)
Je ne me sauverais pas, cependant même que mon destin soit menaçant,
Je ne suis pas né lâche, je ne le deviendrai pas ;
J’irai ici chercher la victoire de vos promesses amoureuses
Aussi longtemps que je vivrai !

Une fois Sigurd ayant déclamé là son honneur, Brynhild lui fait part des conseils de Sagesse pour l’aider au long de sa quête…

22
Le premier conseil que je vous donnerai est de ne pas rendre coupable
De leurs maux vos proches parents :
La vengeance n’offrira aucune récompense ni gloire après votre mort
Malgré tout le tort dont vous aurez fait l’objet !

23*
Puis le second conseil que je vous donnerai est de ne promettre aucun serment
Dont vous ne soyez absolument certain de sa pureté :
Amer sera le Destin de celui qui le trahira
Et bien malheureux sera le Cri-du-Loup !

24
Le troisième conseil que je vous donnerai est, au Thing,
De ne pas vous engager dans la joute avec des imbéciles :
Pour l’homme sage mais imprudent en paroles souvent
Il trouvera de bien pires vilenies prononcées à son encontre par le mauvais !

25
(Pire pourtant adviendra si vous gardez le silence trop longtemps,
Les hommes le trouvant alors né lâche
Et il est possible qu’ils n’aient pas tort alors !
Rarement est acquise la renommée
A moins qu’elle soit étendue et légendaire en tout lieu :
Alors, une fois le mauvais glorifié, attendez que le jour passe et envoyez le à la mort
Pour qu’il paye le prix de ses mensonges !)

26
Le quatrième conseil que je vous donnerai est, si vous rencontrez
Une sorcière maligne sur votre route,
De poursuivre votre chemin et de décliner son invitation
Bien que la nuit ou la faim vous gagnent !

27
(Leurs voient lesquels des fils des Hommes ils désirent
Alors combattant dans les féroces batailles ;
Souvent de maléfiques sorcières sont croisées sur la route
Tentant d’émousser la lame et le courage !)

28*
Le cinquième conseil que je vous donnerai est, si vous trouvez des belles filles
Assises sur les bancs de la Halle,
De laisser l’Argent-du-Sang ne pas vous voler votre repos
Et de prendre garde aux baisers des femmes !

29
Le sixième conseil que je vous donnerai est, si les hommes se disputent
Et s’emportent au fur et à mesure qu’ils boivent leur bière,
De n’échanger aucun mot avec le guerrier ivre
Car le vin vole souvent l’esprit de bien des hommes !

30
(Bagarres et bières vont souvent de paire,
Empoisonnant le sang de plus d’un homme,
Certains jusqu’à en souffrir, d’autres jusqu’à en mourir
Et assurément jusqu’à avoir nombres d’ennuis pour la plupart !)

31*
Le septième conseil que je vous donnerai est, si vous cherchez à combattre
Un ennemi d’une grande puissance,
De toujours préférer l’affrontement que de rester à brûler
Dans sa propre Halle même si elle est riche d’or !

32
Le huitième conseil que je vous donnerai est de prendre garde du mal
Et de vous méfier des mots mensongers et troubles :
Ne soyez pas attiré ni par la Vierge ni par la femme d’un autre
Et ne les pervertissez pas dans les plaisirs interdits !

33
Le neuvième conseil que je vous donnerai est celui-ci : Enterrez
Le cadavre trouvé sur le chemin d’un être étant tombé,
D’un autre mort par maladie, de celui s’étant noyé en mer
Ou de celui occis par les blessures d’une arme.

34
(Un bain vous donnerez à ce cadavre trouvé
Et laverez surtout ses mains et sa tête ;
Essuyez le alors, peignez le aussi avant qu’il ne soit mis en terre
Et priez pour qu’il dorme à jamais en paix.)

35*
Le dixième conseil que je donnerai est que vous ne croyez jamais
Les paroles de la race des loups ;
(Surtout si vous avez mis à mort leurs frères
Ou fait chuter leurs pères !)
Et leurs fils, même s’ils acceptent joyeusement l’or,
Restent les enfants du loup !

36
(Combat, haine et mal, je pense,
S’endorment rarement profondément ;
D’esprits et d’armes aura besoin le guerrier
Si le plus courageux des hommes il désire devenir.)

37*
Le dernier conseil que je donnerai est d’éviter toute colère
Ou trahisons avec vos propres amis :
Brève sera la vie du chef alors
D’autant plus si les ennemis lui faisant face sont puissants !

Et par cette dernière prophétie s’acheva la première rencontre de Sigurd et Brynhild…

Annexes

Proses : On trouve Sigrdrifa en place de Brynhild comme expliqué dans la présentation du texte – Agnar reste inconnu autre part que dans ce texte.
5* : Arbre-de-Bataille est un Kenning pour Guerrier – A noter l’évocation des Runes…
6* : Cette litanie de Runes commençant avec cette strophe est semble t-il un ajout n’ayant rien à voir avec l’histoire d’origine – Tyr évoque à la fois le Dieu éponyme et la Rune Tyr…
7* : Nyd signifie besoin mais aussi la Rune Nyd – Les Poireaux ont été dans la tradition un moyen d’éviter la sorcellerie et les empoisonnements, d’où ici leurs évocations !
9* : Coursiers-des-Voiles est un Kenning pour signifier les navires.
10* : Les Runes des écorces renvoient au fait que les Runes sont coupées dans la chair des arbres…
12* : Quelque chose semble avoir été perdu entre cette strophe est la suite du récit.
13-14* : Heithdraupnir, Hoddrofnir et Mim renvoient tous à Mimir. (cf dico)
20* : Brynhild évoque ici le serment de fidélité que devra lui jurer Sigurd sous peine de malédictions comme parjure éventuel…
23* : Le Cri-du-Loup est un Kenning pour signifier le Destructeur-de-Serment ou encore le Briseur-de-Serment… notion très importante dans la tradition…
Note : les ( ) de cette partie du texte renvoient de probables interpolations.
28* : L’Argent-du-Sang est un Kenning renvoyant au prix à payer pour se marier à une fille…
31* : Cette strophe renvoie au fait que les hommes préféraient aller au devant des périls d’attendre qu’on viennent les brûler dans leur Halle dont une Saga fait référence, la Njalssaga !
35* : Les Enfants-du-Loup est un Kenning pour signifier les descendants de son ennemi…
37* : Les deux dernières lignes semblent renvoyer au terme du texte d’origine même si elles sont étrangement mêlées au reste de la strophe et de la fin du texte !!

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