L’aube étant encore naissante quand il gravit le dénivelé où se dessinait un frêle chemin sableux parcheminé de pierres et de bruyères tentant de reconquérir cette sente conquérante. Il ne semblait pas souffrir de cette pente abrupte et ses pas étaient décidés.
Il fallait de toute façon être décidé de ce côté de l’île…
Plus bas, sans qu’on ne les discerne à cause des embruns encore épais, on entendait le grondement des vagues se fracassant sur la falaise. Le Venteux comme on l’appelait (et à vrai dire il aimait qu’on le nomme ainsi) parvint presque à faire battre son cœur sur le rythme même du ressac.
Le Vent caressa son visage et il sourit de cette tendresse éthérée. Il savait recevoir cette offrande qu’elle soit aussi douce qu’en cette matinée naissante que violente quand vient la tempête. L’une ou l’autre n’était pas plus ou moins bonne, c’était un don à qui savait les reconnaître.
Mais il ne fallait plus s’attarder.
Les rais de Sol commençaient à déchirer le voile matinal, la rosée qui s’asséchait libérant des effluves multiples et des fragrances fortes de l’odeur du musc des tanières cachant leurs animaux endormis. La bruyère chatoyante s’ébrouait tel un tapis agité par les Vents et qui auraient délivré là une myriade de couleurs irisées, ocres, écarlates et vert-brun.
Il fallait vraiment rejoindre le haut de la falaise avant que la chaleur ne soit trop accablante.
Les dernières ascensions étaient difficiles et le sac de toile du Venteux se balançait toujours plus malgré la masse pesante qu’il renfermait.
On entendait d’ailleurs le contenu s’entrechoquer du même bruit des cailloux roulant sous ses pas. C’était là une bonne moisson, récoltée la veille sur la plage de galets. Ceux-ci étaient larges, plats, tous de la même dimension, rugueux et saillants si ce n’est sur l’une de leur face, toutes polies depuis des millénaires par l’Océan, le Vent et le sable.
Enfin la sente disparaissait sur le plateau s’ouvrant à tous les Vents du sommet.
A chaque fois c’était le même sentiment, le même frisson et le souffle comme drainé par la puissance des lieux.
Face à qui avait foulé la pente, face à l’Océan se perdant de tous côtés, face aux Vents, dominant toute l’île, dressées comme un défi au ciel, elles étaient là, les « Pierres Levées »… taillées dans la roche de telle manière que nul ne pouvait dire si des Dieux, des Hommes, les Eléments ou quelques magies les avaient crées. Peut-être avaient-elles été là avant toutes choses.
Majestueuses, sacrées et éternelles, les Pierres Levées trônaient là, en un cercle particulier, sans schéma, sans tracé précis et dans un sens méconnu. Elles étaient silencieuses ou plutôt sifflaient et murmuraient au gré des Vents dont elles étaient peut-être la matrice même de leurs chuchotements. Les Esprits demeuraient ici et ils psalmodiaient sans lasse pour qui savait les entendre, les respecter et les comprendre. Ici des guerriers avaient combattus, là encore des bûchers en avaient emporté d’autres, sages et Seigneurs, pauvres et Glorieux. Là encore on avait prêté Serments, on avait prié, on avait loué, on avait espéré, on s’était recueilli, on avait contemplé, on s’y était reposé… on s’y était aimé.
Le Venteux lui y respecta plus que tout autre chose les Vents si puissants à cette hauteur.
La Falaise semblait en gronder de contentement et les Pierres en saigner des derniers embruns, quelques larmes de rosée y perlant tels des pleurs à la couleur d’Ambre. Il s’approcha alors d’un monticule plus humble creusé en son centre.
Saisissant son sac brodé d’entrelacs, il en déposa le contenu.
Les galets furent oints et les Runes gravées sur leur face scintillèrent au Soleil levant jusqu’à presque s’enflammer. Elles œuvraient déjà à faire plisser le regard comme pour les respecter.
Désormais elles étaient offertes à ceux mandant aides, conseils, oracles ou augures aux esprits des lieux, quels qu’ils soient. Maudits seraient-ceux qui viendraient à ne pas les user avec soin et recueillement… Bénis seraient les autres.
Le Venteux était heureux.
L’île resplendissait et les Vents étaient eux-aussi joyeux jusqu’à en hurler…
Il n’y avait rien à dire de plus désormais, il n’y avait qu’à respirer et contempler. Mais déjà la Falaise des Pierres Levées fut de nouveau livrée à sa seule destinée, le dépositaire des Runes ayant disparu.
Peut-être attendait-il qu’un voyageur ne vienne mander augure et qu’il l’aide si l’oracle des Runes avait ses faveurs… peut-être. Peut-être aussi était-il parti laissant le silence comme seule réponse à ceux ne sachant écouter les Vents…
Peut-être…